Aujourd’hui, on vous parle de Raphaël Haumont, l’un des personnages les plus influents dans le domaine culinaire français. Vous l’avez peut-être vu sur France 3 dans Les Carnets de Julie ou sur France 5 dans Le Magazine de la Santé, et quand il n’est pas à la télé, il est enseignant-chercheur à l’université Paris-Sud.
Ce docteur en physique passionné depuis toujours par la cuisine, mène ses recherches autour de la cuisine moléculaire; et est depuis 2013 le co-fondateur avec Thierry Marx du « Centre Français d’Innovation Culinaire » au sein duquel il préside la chaire « Cuisine du futur ».
Autant dire un type profondément intéressant, qui nous a accordé au pied levé une interview qui nous a appris un bon paquet de choses :
- Raphaël, parmi la myriade de spécialisations qu’il y a autour d’un domaine aussi vaste et riche que la physique-chimie, qu’est ce qui t’a fait t’intéresser particulièrement aux matériaux alimentaires ?
Tout simplement la passion. Depuis l’enfance je suis passionné par la cuisine, mais aussi par les sciences et par l’art, particulièrement par la peinture que j’exerce. Alors c’est sûr il faut travailler, mais autant vivre de ses passions ! Etant donné que j’étais plutôt bon élève, on m’a invité à poursuivre un parcours scientifique et je suis devenu docteur en physique, mais en cuisinant toujours beaucoup à côté. Et quand j’ai vu qu’on pouvait expliquer la cuisine via les sciences, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire.
Et je me suis d’ailleurs rendu compte que le plus important c’est d’avoir un regard décalé. J’étais passionné de cuisine, j’aurais pu faire une grande école de cuisine mais j’aurais certainement été formaté, et je n’aurais jamais créé ce labo d’innovation. C’est ce regard décalé qui crée l’innovation.
Le Centre Français d'Innovation Culinaire et la cuisine du futur
- Vous êtes co-fondateur du CFIC (Centre Français d’Innovation Culinaire) avec Thierry Marx, chef étoilé de renom. Lorsque l’on parle cuisine du futur on imagine souvent des insectes ou des poudres assez peu ragoutantes. Quels sont vos axes de travail avec Thiery Marx pour conserver une gastronomie qui fasse envie, même dans une démarche « futuriste » ?
Notre point de départ c’est cette problématique : « En 2050 lorsque nous serons 9 milliards, comment va-t-on nourrir tout le monde ? ». Dès qu’on attaque le sujet les problématiques principales ce sont les ressources en eau, le zéro déchet, le zéro gaspillage, une cuisine durable et responsable, et c’est tout ça qui nous anime. Un exemple assez parlant c’est lorsqu’on regarde les rendements des différents animaux (c’est à dire combien de kilos de ressources faut-il pour produire un kilo de nourriture) : pour la vache c’est un rendement de 20, pour un insecte c’est un rapport de 1,1. L’insecte mange et fournit quasiment instantanément la même quantité de protéine que celle qu’il a ingurgité.
Forcément ce sont des pistes extrêmement intéressantes mais malgré tout il y a effectivement l’approche culturelle. Les Français ne sont pas forcément prêts à manger de la poudre d’insecte. Il faut que la nourriture reste un plaisir, un lien social qui est le partage d’une bonne nourriture avec ses amis, sa famille. Si il faut remplacer les protéines animales par des protéines végétales ou issues des insectes, il va falloir le faire accepter soit en trouvant de nouveaux modes de préparation pour rendre ces aliments bons en goût, soit en les dissimulant dans les préparations.
- Les Superfoods se démocratisent et prennent peu à peu une place plus importante dans notre alimentation. Pensez-vous que ces aliments soient la clé de la cuisine de demain ?
Les Superfoods font clairement partie de la cuisine de demain. Ceux qui déclarent aujourd’hui qu’ils ne les intégreront jamais à leur cuisine vont malheureusement forcément passer à côté de quelque chose d’important.
"Il n’y a pas de conflit entre tradition et innovation"
- Parmi vos travaux de recherches culinaires, quelle est la découverte dont vous êtes à ce jour le plus fier ?
Ce n’est pas simple, il y en a plein ! On a fait avec Thierry Marx de la pâtisserie liquide, l’idée étant de boire une tarte tatin et de ne pas la croquer. Il y a aussi la confiture sans sucre qui me parle beaucoup. Pour la préparer on va consommer tous les éléments qui sont traditionnellement traités comme des déchets, toute l’orange en somme avec zéro perte, zéro gaspillage et zéro sucre.
Je trouve qu’il y a un sens au fait que la nature ait fabriqué la peau de l’orange après des millions d’années d’évolutions, elle contient de la pectine naturelle, des arômes naturels, il faut conserver et utiliser ça.
5. Aujourd’hui la cuisine moléculaire n’est pas encore très répandue dans les assiettes françaises. Comment pensez-vous pouvoir convaincre un pays avec des traditions culinaires aussi ancrées à changer sa manière de s’alimenter ?
C’est une bonne question. De nos jours certains chefs ne veulent pas toucher à ce qu’ils appellent la tradition française. Seulement quand on y réfléchit, la tradition c’est tout simplement une innovation à une époque qui a tellement bien fonctionné qu’elle a perduré et est finalement devenue la tradition.
Il n’y a pas de conflit entre tradition et innovation. Si l’on ne s’ouvrait pas à l’innovation nos voitures seraient encore tirées par des bœufs, on s’éclairerait à la bougie, on ferait des saignées sans aller chez le médecin… C’est une posture absurde, il faut vivre avec son temps, avec les connaissances, les méthodes, les technologies, les ingrédients d’aujourd’hui. Et ce n’est pas incompatible avec la tradition.
Par exemple on ne va pas arrêter de faire des Paris-Brest parce que c’est très bon ! En revanche on est en droit de se demander « ne serait-il pas aussi bon avec 20% de sucre en moins ? ». Je peux vouloir du plaisir sans vouloir les calories qui vont avec. C’est pour ça que la confiture sans sucre me parle ou une mousse au chocolat sans œuf. Et c’est grâce à la recherche que l’on arrive à ce genre de résultats.
Son secret pour garder la forme : manger moléculaire
6. Vous êtes encore aujourd’hui enseignant à l’université en science des matériaux. Quel est le message principal que vous essayez de transmettre à vos élèves ?
J’essaye de leurs faire comprendre que le plus important c’est la curiosité. C’est un peu paradoxal par rapport à la posture du professeur traditionnel qui est là pour transmettre une connaissance de manière unilatérale. Mon idée est plutôt une démarche de projet, ne rien prendre pour acquis, apprendre à être curieux et innovant car apprendre pour apprendre ne sert à rien.
7. Question plus terre à terre : Et vous, c’est quoi le menu type de vos journées ?
Manger de tout mais en petite quantité. Je mange moléculaire, j’enlève le surgras, j’enlève le sucre mais je ne me prive de rien.
On vous encourage vivement à aller faire un tour sur son blog –> par ici
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